Limoges ABC en Limousin

De la haute couture à la fabrication des masques, un engagement, deux métiers

La crise sanitaire perdure. Les modalités de sortie du confinement, et même la date, restent de grandes inconnues. Les personnels de santé sont depuis six semaines sur le pont … pour notre santé. De nombreuses entreprises assurent tous les jours les services grand public à l’usager … pour nous. D’autres sont fermées depuis quatre ou cinq semaines et certaines ne pourront pas ouvrir de sitôt. D’une crise sanitaire à une crise économique, les effets sont très loin d’être encore connus. Le sport est à l’arrêt, les saisons sont terminées, les décisions prises. Nous préparons la saison prochaine dans des conditions délicates, comme tous les clubs, toutes les disciplines, tous les sportifs. Mais nous n’avons pas à pleurer quand nous voyons nos partenaires souffrir. D’une crise sanitaire à une crise économique, les effets sont très loin d’être encore connus.

Entrepreneur engagé et innovant, Bernard Blaizeau a activé réseaux et compétences pour répondre à l’urgence. Avant de revenir demain à son métier. Merci pour ces longues minutes d’interview dans un planning hyper chargé.

 

De la haute couture à la fabrication des masques,
un engagement, deux métiers

Dirigeant de l’entreprise C2000 à Limoges, partenaire du Limoges ABC, Bernard Blaizeau travaille avec les plus grandes maisons de couture. Les « petites mains » de C2000 ont un savoir-faire d’exception. Mais de là à s’improviser fabricant(e)s de masques du jour au lendemain … Bernard Blaizeau a décidé de réagir dès le début de la pandémie et de participer à l’effort collectif. L’exigence chevillée au corps, itinéraire d’un parcours semé d’embûches et de solidarités actives

« Quand le virus a frappé, notre activité s’est arrêtée en quelques jours. Et pourtant, on s’est dit qu’on ne pouvait pas s’arrêter de travailler. Notre métier c’est la haute couture. Nos clients sont les grands couturiers parisiens. Mais, en voyant la pénurie de masques en France, nous avons décidé de participer à l’effort collectif. Tout commence le mercredi 11 mars lorsque nous prenons contact avec notre syndicat professionnel qui nous envoie des patronages de marques et modèles différents.

L’activité économique s’arrête. Le confinement approche. Nous commençons le vendredi à tester une réalisation sur la base des patronages reçus. Techniquement, la fabrication demande juste une adaptation de savoir-faire. C’est bien. Mais notre objectif final est bien entendu de garantir la sécurité des masques !

En partenariat avec SOLIBIO et avec l’ENSIL-ENSCI

Je prends alors contact avec un ami chef d’entreprise, Jean-Loup Bernard, patron de SOLIBIO, fabricant de cosmétiques et de produits d’entretien, labellisé bio, installé à Solignac. La première notion à prendre en compte était la perméabilité et la rétention des microbes sur laquelle a travaillé Jean-Loup Bernard durant le week-end.

La deuxième notion était le protocole de désinfection, pour fabriquer un masque que les utilisateurs puissent garder jusqu’à la fin de la pandémie. L’organisme ressources, ce fut alors l’ENSIL-ENSCI et son directeur Patrick Leprat qui a travaillé le dimanche 15 mars pour mettre au point un protocole de désinfection qui utilise la vapeur. Les premiers tests le dimanche après-midi, à vapeur sèche de 80° à 100°, ont été concluants sur tout type de bactéries.

Il manquait cependant une dernière vérification. Le masque restait-il stérile après quelques heures ? Nous avons pris le temps de vérifier en attendant jusqu’au lundi. Et 24h après, validation des derniers tests, ok … La structure du masque et le protocole de désinfection étaient validés. Dès lors, nous pouvions commencer à produire ! Un processus nécessaire et concluant.

La vapeur, solution pour que le masque puisse être durable

Nous étions en conformité avec les recommandations de l’AFNOR mais aussi avec le process de désinfection. Le virus s’accroche à des particules microscopiques. Le passer en machine, c’est bien mais l’effet conjugué de la machine et de la lessive va détruire le coton et le masque va perdre son pouvoir filtrant. La vapeur est la solution pour que le masque puisse être durable. Exemple : dans un faitout de cuisine, 2 cm d’eau, mettre le masque dans le panier sans toucher l’eau, fermer, porter à ébullition pendant 15’ à 20’. A cette étape, le masque est utilisable sur une période de 4h. »

Bernard Blaizeau l’avoue : « C’est un métier. Ce n’est pas le nôtre. Il fallut acquérir les savoir-faire, mettre en place les partenariats, tisser des liens, additionner les compétences pour être sûrs que les masques que nous allions produire aient les qualités requises. Nous avons acheté 7000 € de tissu à Paris, produit 400, puis 600, puis 800 masques par jour. En une semaine, nous avons recueilli des dizaines de demandes. Nous nous sommes adaptés. »

Aujourd’hui, C2000 fabrique de 800 à 1000 masques par jour avec une dizaine de salariées. Les commandes arrivent d’entreprises, d’artisans chauffagistes ou électriciens, de CUMA d’agriculteurs, de sociétés de transports, de commerces, de collectivités et même de l’Etat, de l’agglomération et de la région. « Nous n’avons pas vocation à changer de métier. Nous répondons à une urgence sanitaire et mettons à disposition nos savoir-faire pour protéger les personnes en première ligne ou les entreprises qui continuent à assurer une mission d’intérêt général pour la population. Demain, nos clients vont revenir vers nous et nous allons revenir vers eux. Mais lorsqu’une telle pandémie nous touche, nous devons, en tant qu’entrepreneur, réagir vite, répondre à la demande, respecter les normes. C’est ce que nous avons voulu faire à notre échelle. »

A cause de l’appât du gain, on a tout délocalisé

Bernard Blaizeau est passionné par son métier mais le chef d’entreprise est inquiet. « J’ai senti un manque de préparation totale de la part de nombre d’interlocuteurs que j’ai appelé dans les premiers jours, et surtout un manque de réactivité. Nous ne sommes pas prêts, nos administrations sont trop souvent incapables de réagir ; et vite. J’ai rencontré des gens admirables, des agriculteurs, des entrepreneurs, des artisans. Mais d’autres tergiversent et mettent un temps fou à prendre une décision. A cause de l’appât du gain, on a tout délocalisé. Aujourd’hui, nous ne sommes plus capables d’être efficaces dans l’urgence, par exemple de décontaminer, y compris dans des établissements de santé où il n’y a pas d’étuve … Ce sont des exemples, mais je ne vous dirai pas les pesanteurs auxquelles on peut se heurter dans une période aussi cruciale, alors que nos vies sont en jeu. »

Demain, après-demain, plus tard, l’entreprise va revenir à son activité. « L’économie va repartir très fort dans le secteur du luxe. On sent déjà ces jours-ci que l’activité de la haute couture est repartie au Japon ou en Chine. Nous allons nous remobiliser pour participer à la reprise économique. »

Depuis plus d’un mois, les « petites mains » de C2000 continuent à produire des masques et progressivement espèrent que les spécialistes prendront le relais, que les importations de masques suffiront à fournir toute la population. Le 11 mai c’est si loin, si prêt …

16 avril 2020